9 octobre 2006

Dur d'être une femme

Lu sur le blog de Didier Jacob, ce texte qui laisse songeur :

Virginie Despentes vous écrit de Buchenwald. De son petit Buchenwald à elle, qui est celui de la vie des femmes aujourd'hui. Ca s'appelle « King Kong Theorie » (Grasset) : « J'écris de chez les moches, pour les moches, les vieilles, les camionneuses, les frigides, les mal baisées, les imbaisables, les hystériques, les tarées, toutes les exclues du grand marché à la bonne meuf.


» Envoyé, c'est pesé.
Despentes raconte l'horreur masculine. Elle en est passée par là : un viol, un peu de prostitution, des activités diverses que la morale n'approuve pas. Au fond, tout laissait croire que Virginie Despentes, en littérature, c'était pire que Rocky. Vous êtes durs, elle est pire, dirait Télérama. Tout dans le muscle, rien dans le style. En quoi l'on se trompait : il y a du muscle, et du style. L'une des bêtes noires de Virginie Despentes, c'est la presse féminine. Elle, en gros. La bible hebdomadaire du féminisme bien-pensant. D'ailleurs le journal, cette semaine, y va avec des pincettes. Question de Elle à Despentes : « Mais pourquoi vous complaisez-vous à dire que vous êtes moche, alors que ce n'est pas le cas ? » Traduction : « Tu ne peux pas aller t'acheter le dernier sac Gucci et fermer ta gueule, connasse ? » Question de Elle : « Vous dites, la féminité, c'est la putasserie. » Traduction : « T'es sûre que tu n'aimes pas mon jean Dolce Gabbana à 1200 euros que j'ai eu gratos en service de presse ? » Question : « Quand vous parlez de pétasse, c'est péjoratif ? » Traduction : « C'est nous, les pétasses en question ? » Mais le pire, le pire du pire, vient maintenant : « Que vous a enlevé le viol et que vous a-t-il apporté ? » Apporté. Que des journalistes, femmes en plus, dans un journal féminin, dans THE journal féminin, puissent supposer que le viol peut apporter quelque chose, voilà qui donne envie d'aller finir sa vie en Mongolie extérieure, à plus de dix mille kilomètres du premier kiosque à journaux. Première de Taddéï, sur FR3, il y a dix jours. Semprun et Lanzmann causent du nouveau roman de Littell. Ca ne lui fait pas plaisir, à Lanzmann, qu'un petit jeune touche à la Shoah. C'est chasse gardée, cueillette des champignons à vos risques et périls. Et pourtant, on sent bien qu'il admire le livre. Il aurait aimé l'écrire, voilà le truc. Qu'un autre l'écrive à sa place, c'était carrément un affront. Face à lui, Semprun. Très gentleman, presque très anglais. Il y a quelque chose qui le chiffonne, Semprun. Cette phrase de Lanzmann, dans je ne sais plus quel journal : « Il n'y a que deux personnes au monde qui peuvent comprendre ce livre : Hillberg (l'historien, auteur de « La destruction des juifs d'Europe »), et moi. » Au fait, ça ne fait pas beaucoup de femmes, tout ça. Même pas une sur deux pour comprendre la Shoah. Allez, au moins une, quoi. Auschwitz, pour Lanzmann, ça doit être une histoire de mecs. Semprun : « Vous croyez que je ne peux pas comprendre le livre ? » Il ne se dégonfle pas, reprend la phrase de Lanzmann, la tourne en ridicule. Lanzmann s'entête. Lanzmann confirme. Alors Semprun lâche l'argument Rocky ; le doux, le sage Semprun se transforme en Rocky Despentes : « Où étiez-vous en 1945 ? » La question fait vaciller l'adversaire. Lanzmann bredouille, évoque un obscur passé de combattant quand Semprun définitivement l'émascule : « J'étais à Buchenwald…» On croirait entendre Despentes IV : « J'écris d'ici, de chez les invendues, les tordues, celles qui ont le crâne rasé, celles qui ne savent pas s'habiller, celles qui ont peur de puer, celles qui ont les chicots pourris, celles qui ne savant pas s'y prendre, celles à qui les hommes ne font pas de cadeau, celles qui baiseraient avec n'importe qui voulant bien d'elles, les grosses putes, les petites salopes, les femmes à chatte toujours sèche, celles qui ont des gros bides, etc. » Une sorte de train, de train du quotidien, de train-train de la mort des femmes au quotidien. De Gaulle : « Les Français parlent aux Français. » Despentes : « Les moches parlent aux moches. » Sarkozy, il y a quelques semaines (parlant de Ségolène) : « C'est de la politique, ce n'est pas un concours de beauté. » Le Point, cette semaine : « Ségolène Royal, les secrets d'un hold-up ». Remplacez Ségolène par le premier tocard masculin du Parti socialiste, le Point aurait titré : « Les secrets d'une réussite. » De Lanzmann à Sarkozy en passant par Giesbert, nos chers mâles sont donc d'accord. Ces dames ne doivent pas davantage se mêler de comprendre la Shoah que de gouverner le pays. Pas leur job. On voit combien les esprits ont changé, en France, depuis la révolution sexuelle. Depuis cette révolution dont Virginie Despentes note à juste titre que, comme dans la blague des bistrots à blagues (de mecs), tout le monde sauf toi lui est passé dessus. Regardez la panique des dirigeants socialistes, depuis quelques semaines, à l'idée que l'une d'entre elles puissent concourir à leur place. Et la haine des mêmes, à peine dissimulée, contre François Hollande : non pas qu'il n'ait pas fait son travail de premier secrétaire, mais qu'il n'ait pas su tenir madame à la maison. Voyez la confusion, les un pas en avant-trois pas en arrière. Le visage défait d'un Jospin, réalisant que le pouvoir était en train d'échapper à cette caste masculine qui pensait que ce pouvoir lui revenait de droit. L'alternance, OK. Droite-gauche, OK. Mais pas messieurs-mesdames. Messieurs-messieurs. Le livre de Virginie Despentes va déranger. Il va déranger les hommes mais probablement surtout les femmes. Le féminisme, dit Virginie Despentes, n'est pas de voter pour Ségolène. Il n'est pas dans cette éternelle promesse de justice faite aux femmes, qu'appellent de leurs vœux tous les discours des politiques. Il n'est pas dans ces propositions de justice que les politiques sortent de leur chapeau avant les élections, pour les y réenfouir dès la clôture des bureaux de vote. Le féminisme, dit Virginie Despentes, « est une révolution, pas un réaménagement des consignes marketing, pas une vague promotion de la fellation ou de l'échangisme, il n'est pas seulement question d'améliorer les salaires d'appoint. Le féminisme est une aventure collective, pour les femmes, pour les hommes, et pour les autres. Une révolution, bien en marche. Une vision du monde, un choix. Il ne s'agit pas d'opposer les petits avantages des femmes aux petits acquis des hommes, mais bien de tout foutre en l'air. » Faites passer.

J'ai beaucoup d'admiration pour Jorge Semprun. Et j'avoue que V. Despentes me paraît digne d'intérêt à lire cet article. Merci à D. Jacob qui me conforte dans ma bonne opinion sur Le Point...

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