7 mai 2007

Les Français ne sont pas des paresseux

C'est une tribune de Guillaume Duval, rédacteur en chef d'alternatives économiques, parue aujourd'hui dans Libération.

Attention, si l'on en croit Arno Klarsfeld, l'un des partisans les plus enthousiastes de M. de Petit Botcha, Libération est un journal qui a gravement lésé le nouveau Président de la République... (je sais, je l'ai vu hier soir sur M...6, dans la future ex émission de M. Fogiel, cet impertinent qui ose demander à Mme Morana de répondre à ses questions)
Que ceux qui craignent d'être inquiétés pour avoir lu ce quotidien cessent immédiatement de lire ce texte !

Ce texte, le voici :

Il faut, paraît-il, «réhabiliter la valeur travail». Nicolas Sarkozy en a fait le thème central de sa campagne victorieuse. Il considère manifestement que la paresse actuelle des Français est la cause principale des difficultés que rencontre le pays. Il s'agit là pourtant d'une contrevérité qui aurait dû en bonne logique lui coûter l'élection tant le propos est insultant à l'égard des 22,5 millions de salariés, qui travaillent dur chaque jour, et des 2 millions de chômeurs, qui aimeraient pouvoir en faire autant.
Rien n'est plus faux en effet que ce préjugé tenace d'une France paresseuse : les salariés français figurent au contraire parmi les plus productifs au monde. Selon les chiffres du Bureau des statistiques du travail (BLS), un Français qui occupe un emploi avait produit 71 900 dollars de richesses en moyenne au cours de l'année 2005. C'est certes moins que les 81 000 dollars produits par l'employé américain moyen, mais significativement plus que les 64 100 dollars d'un Anglais, les 59 100 d'un Allemand ou les 56 300 dollars d'un Japonais... Et même en matière de temps de travail, si Nicolas Sarkozy ne se contentait pas de répéter les poncifs que lui soufflent ses amis chefs d'entreprise, il saurait que les salariés français ne sont pas, et de très loin, ceux qui travaillent le moins en Europe. Selon Eurostat, l'organisme statistique officiel de l'Union, un salarié français travaillait en moyenne 36,4 heures par semaine au troisième trimestre 2006. Contre 36,1 dans l'ex-Union à quinze pays. Les Français travaillent presque aussi longtemps que les Anglais (36,5 heures) et significativement plus que les Danois (34,6 heures) dont le modèle social est si envié, ou que les Allemands (34,5 heures) champions du monde de l'exportation. Sans parler des Néerlandais qui ne restent en moyenne que 29,8 heures au travail chaque semaine. Dans l'ex-Europe à quinze, c'est en Grèce (39,9 heures) et au Portugal (39,2 heures) qu'on travaille le plus longtemps. Rattraper la Grèce et le Portugal, est-ce cela l'ambition de Nicolas Sarkozy pour l'économie française ?
Contrairement à ce que laisse entendre le nouveau président de la République, les salariés français ne sont donc pas des paresseux ni les chômeurs de l'Hexagone des profiteurs. Pour autant, il ne fait guère de doute que les entreprises françaises rencontrent des difficultés importantes. Elles sont souvent à la peine sur les créneaux high-tech en expansion et s'en sortent nettement moins bien sur le marché mondial que les entreprises allemandes. Et cela bien que le travail soit sensiblement plus cher outre-Rhin : 33 dollars de l'heure en 2005 pour un ouvrier de l'industrie contre 24,6 en France selon les chiffres du BLS. Si la paresse des salariés n'est pas en cause, ni le coût de leur travail, est-ce que les raisons de ces difficultés ne seraient pas à chercher plutôt en priorité du côté de la tête des entreprises ? Du côté de la faible qualité de leurs dirigeants et de l'inefficacité de leurs modes de gestion ? Quand on observe, par exemple, le gigantesque gâchis que l'incurie d'un Arnaud Lagardère, actionnaire de référence, combinée à la soif de pouvoir d'un Noël Forgeard, a provoqué au sein d'Airbus, on se dit en effet que c'est surtout au niveau de ses élites économiques, de leur recrutement et de leurs habitudes de fonctionnement, que l'économie française aurait besoin d'une «rupture».
J'avoue avoir eu un frisson lors du débat pour le second tour, quand j'ai entendu M. de Petit Botcha parler des fonctionnaires comme "un coût". La moindre humanité aurait consisté à dire que leur travail rendait un service à la collectivité... mais on est là dans les dépendances du Medef, qui présente le salariat comme une charge, jamais comme un atout, ou comme une force essentielle...

Enfin, pour ce qui est de se lever tôt pour aller travailler, je n'ai jamais pris un train de banlieue aussi silencieux, aussi morose, aussi résigné...

1 commentaire:

  1. Je viens juste de lire cet article dans Libé (est-ce encre autorisé?)
    Dans le dernier Alternatives Economiques, il y a aussi un article sur les droits de successions, où il est souligné que très peu de personnes en pairont mais que tous sont persuadés qu'ils vont en payer (le socle de Sarkozy en particulier, les plus de 60 ans!)
    L'humanisme nous préserve des vautours pour poursuivre la métaphore de votre commentaire chez Farid Taha!

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