3 avril 2007

Sans parole

La société française n'est pas faite que de menteurs et de fraudeurs (non paiement des cotisations sociales, évasion fiscale, et j'en passe...) Moussu Desiderio nous parle de son métier sur son Champignacien illustré. Chapeau bas.

Une France sans parole

Ils sont très polis et souriants, ils vous disent bonjour spontanément et viennent vous demander qui vous êtes même si vous ne les avez pas en cours. Je me fais parfois traiter de croque-mort parce que je viens en costume noir, mais l'idée de la violence est absente, ce sont juste des mots qui partent sans qu'ils en voient la portée. Ils s'envoient des vacheries entre eux durant les cours et se lancent des insultes, mais cela ne dégénère pas puisque ces insultes sont acceptées par les autres et appartiennent à un système de convention. On tente alors de leur dire que cela ne se fait pas et que ce serait mal vu ailleurs, dans le monde du travail ou face à des gens qui ne les connaissent pas. On ne peut pas les arrêter quand ils sont pris par des rires sans raison ou qu'ils ont subitement une association d'esprit sans rapport avec le cours, il faut juste attendre que cela passe et puis reposer le cadre. En revanche, ce genre d'insultes proférées dans la cour peut revenir tout d'un coup en classe sans aucun motif : le nouveau qui a été embêté par des élèves d'autres classes en vient à dire que je le méprise, puis il accuse tous les professeurs qui s'en fichent et passent leur chemin, les profs qui sont tous des feignants, il cite des phrases qui ne sont pas de lui, et je ne comprends pas son discours qui intervient de manière intempestive et discontinue, par accès plusieurs fois durant l'heure. Puis, je parle avec les autres élèves, il a été accepté dans la classe et secondé par ses camarades, mais d'autres dans la cour ou dans l'internat doivent le bousculer verbalement sans qu'il y ait le même accord pour les vannes que s'envoient les autres élèves, cela se confirme lors de la réunion du soir où on parle des deux triublions qui l'ont harcelé selon sa perception. Et cela surgit en cours comme une parole forte et violente face à l'exercice, mais vite interrompue, parce qu'il ne peut pas mettre tous les mots sur les choses, parce qu'il est passé à une autre idée en l'absence de réaction. Et il faudrait en reparler avec lui, pour lui dire que l'on ne s'en fiche pas, qu'on le regarde, qu'on l'a écouté, qu'on se rappelle de ce moment et que lui peut avoir aussi la mémoire de ce nouveau moment. Ce sont des handicapés mentaux, ce sont mes élèves. Juste des gens qui ont besoin d'un regard et d'une écoute avec patience pour qu'on puisse leur donner un cadre de vie et de pensée. Une France de la misère dont j'avais déjà l'idée et quelques aperçus, mais avec laquelle je n'avais pas encore vécu. Une France sans parole.

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