15 février 2008

Mémoire

Vous le savez sans doute, la dernière mauvaise idée de notre (il faut assumer, je sais, c'est dur...) Président, c'est de donner à chaque enfant de CM2 le nom d'un enfant juif victime de la Shoah.

Ce qui m'a choqué (outre l'instrumentalisation de l'histoire qui hélas se banalise) c'est que cela se limite aux enfants juifs. L'holocauste n'a pas épargné non plus les enfants Roms. Et rien sur les Arméniens, les Cambodgiens, ou les Rwandais (c'est vrai que dans ce dernier cas, le devoir de mémoire de l'état français est mis sérieusement à l'épreuve).

Mais voilà, Simone Veil en rajoute :
Interrogée par L'Express.fr, elle juge, vendredi 15 février, que cette proposition est"inimaginable, insoutenable, dramatique et surtout, injuste". "On ne peut pas infliger ça à des petits de 10 ans, on ne peut pas demander à un enfant de s'identifier à un enfant mort, souligne-t-elle, cette mémoire est beaucoup trop lourde à porter." La suggestion de M. Sarkozy risque d'attiser les antagonismes religieux, dit-elle encore : "Comment réagira une famille très catholique ou musulmane quand on demandera à leur fils ou à leur fille d'incarner le souvenir d'un petit juif ?"
De famille catholique, je ne vois pas ce qui m'empêche de rendre hommage aux victimes de la Shoah... ni à celles des autres holocaustes... dire que j'oubliais Srebrenica ou la Tchétchénie... Mme Veil ferait-elle de l'incitation à l'intolérance ?

Elle persiste :
Déportée à l'âge de 16 ans, elle témoigne : "Nous mêmes, anciens déportés, avons eu beaucoup de difficultés, après la guerre, à parler de ce que nous avions vécu, même avec nos proches. Et, aujourd'hui encore, nous essayons d'épargner nos enfants et nos petits-enfants."
Je viens de lire I sommersi ed i salvati, de Primo Levi. Déporté à Auschwitz, il raconte dans ce livre comment la mémoire de la déportation est difficile : entre les survivants, qui soit culpabilisent, soit mentent parce qu'ils doivent leur survie à une position en quelque sorte privilégiée et les bourreaux, qui forcément mentent...

Mais cette mémoire est nécessaire, même si elle n'a pas empêché ce qui s'est passé de se reproduire... Sa récupération par un président dont l'objectif est de détruire les acquis du Conseil national de la résistance est simplement dégoûtante, comme son utilisation au Moyen Orient pour construire et défendre un état qui s'appuie sur les mêmes idées de suprématie ethno-religieuse que celles finalement en vigueur dans le Troisième Reich.

N'oublions pas. Et agissons.

Au fait, quelqu'un a-t-il la liste des habitants de Béziers massacrés par les Français en 1209 ?

4 commentaires:

  1. Je crois que dans le commentaire de Simone Weil, le "très" est ... très important.

    C'est une façon pudique de pointer les intégristes, et il en existe encore beaucoup bien "enduits" de racisme et d'antisémitisme.

    J'ai eu la même réaction, en pensant à des expériences difficiles de professeurs dans des classes où le premier travail n'est pas de faire endosser la mémoire d'un enfant, mais simplement de faire reconnaître l'histoire.

    Or je crois que l'école n'a pas non plus à dresser les enfants contre les parents. Ou à leur faire assumer des sentiments contraires à leur éducation. Elle doit leur apprendre à réfléchir, à faire la part des choses, à trier.

    Mais ça c'est loin de l'endoctrinement que représente cette enième connerie de notre président bien-aimé ;)

    Par ailleurs le mot "incarner" est aussi lourd de sens. Je connais beaucoup de musulmans qui acceptent la Shoah sans révisionnisme, et qui rendent hommage aux victimes, mais qui considéreraient comme contraire à leur religion que leur enfant "incarne" un enfant qui ne serait pas musulman. Sans que cela soit du racisme, il s'agit plus de l'interprétation de précepte religieux interdisant d'imiter les non-musulmans, or comment "incarner" si on n'imite pas.

    Je crois qu'il s'agit tout simplement de bon sens face aux réalités actuelles.

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  2. Je suis très mal à l'aise dès que l'on m'oppose "contraire à la religion" dans le cadre d'un enseignement laïc. Je sais bien que la laïcité est une invention occidentale, mais elle peut aussi s'appliquer à l'islam (même si le pays phare est en train de mal tourner). Non ?

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  3. La laïcité n'est pas de nier les religions, surtout chez les élèves, la laïcité c'est de dire que l'état et les représentants du pouvoir sont neutres, ne font la promotion d'aucune religion, ni même de l'athéisme ou de l'agnostisme qui sont après tout des formes de religions.
    Cette conception de la laïcité implique de rejeter les "signes ostentatoires", croix, kippa, voile, turbans et poignards :)

    Au delà de ça, forcer un enfant à faire quelque chose de contraire à sa religion pour un but éducatif, c'est justement sortir du champs de la laïcité pour faire entrer l'école dans le champs des consciences privées.

    Au delà ce ça, je pense qu'il s'agit simplement de remettre les pieds sur terre, par rapport à la violence des tensions comunautaristes, et de choisir les combats essentiels qu'on veut mener, pour reléguer au placard les accessoires.
    Et sur la Shoah, on en est malheureusement avec beaucoup de gamins bien en amont du point où ils pourraient porter la mémoire d'un enfant mort.

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  4. Joli billet ... sur un sujet assez moche.

    Bien que le "très catholique ou musulmane" est important, je partage largement le point de vue développé par Ouadou. Je ne suis par ailleurs pas très favorable à cette idée de "mémorialisation" de l'histoire.

    Il me parait plus sain d'apprendre au enfants à tirer des enseignements de l'histoire avec un enseignement de l'histoire correctement enseignée.

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