Oubliée de mon agence et abandonnée par mon conseiller Pôle emploi depuis 15 mois, je suis presque flattée lorsque je reçois une convocation pour une « réunion ». Une réu, c’est bonnard me dis-je : on est entre chômeurs, on se tient chaud, on n’a pas besoin de se peignermaquillerdouchersentirbonprendresamotivationsouslebras.Bon d’abord à l’agence de la rue de la Beaune tu rentres pas comme dans un moulin, que nenni ! Nous sommes une vingtaine à l’heure dîte et nous faisons la queue DEHORS tandis qu’un agent DEDANS vérifie une à une chaque convocation et la tête à qui appartient la main qui tient fébrilement son petit papier.Il apparaît rapidement manifeste que les agents d’accueil ne comprennent pas bien ce que fait ce petit troupeau d’usagers dans l’agence : qu’est-ce que c’est que ça tous ces chômeurs dans une agence Pôle emploi, ils se croient où ? Nous on est lisses, sages et auréolés en fluo de notre bonne foi : on a en main un petit papier qui dit que « réunion », le mot est stabiloté sur chaque convoc en rose en vert en jaune en bleu, c’est joli. Un agent téméraire fait le lien entre le mot qui cligote en fluo sur nos papiers et un panonceau « réunion » sur une porte : tac-tac réunion / réunion, ha ben on a qu’à les mettre là !Dans le hall c’est un soulagement général, ça faisait désordre cette hésitation collective, on est passé à deux doigts du questionnement métaphysique et ça chacun pressent que c’est le début du bordel voire de l’amorce du commencement de l’émeute. Bon. Moi l’insurrection là je suis pas chaude perso parce qu’il est franchement l’aube et j’ai bu un seul café.Donc là, on va être rangés dans la salle, rengainez vos cagoules, c’est pas pour maintenant. Sauf que, consternation : les convoqués sont une vingtaine et la salle a une jauge de dix personnes. Re tac-tac, décidément dans sa tête à lui ça va vite, ça fait des rapprochements sémantiques, ça manie des chiffres, ça fait des soustractions : ils rentrent pas les gens, là. Il est sincèrement embêté et dévoué. Je vois presque en projection sur son crâne des phrases genre : ben quand même on peut pas traiter les gens comme ça, c’est des chômeurs oui mais c’est quand même encore des gens voire peut-être des citoyens, la déclaration des droits de l’homme c’était pas pour se torcher avec, moi tu vois je voulais être rock star et voilà je suis agent Pôlemploi, c’est pas facile il faut que je m’accroche à ce qu’il me reste d’humanité, quand-même ces gens ils ont droit à une chaise chacun dans la salle de réunion, ils ont beau être en troupeau ce matin on est pas des bêtes.Polyvalent l’agent post-rock star : la tête ET les jambes : le voilà qui commence énergiquement à jouer à Tétris avec les tables et les chaises sous notre regard ovin (le troupeau a fini par faire les bêtes).C’est alors que surgit des profondeurs impénétrables de l’agence une jeune femme déterminée, court vêtue et chaussée de cuissardes. Où est sa cravache ? A mon avis c’est un modèle télescopique pour mieux la ranger dans ses bottes.
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