Mardi. J'ai fait une exception : moi qui rechigne toujours à jouer les vedettes philanthropes, laissant cette corvée à quelques faux culs désœuvrés du show-biz, j'accepte de me rendre à Nantes - à mes frais - afin de parrainer - gratuitement - le concours d'éloquence d'une école de commerce - donc de droite - qui me harcèle depuis des mois. «Pourquoi moi ? avais-je d'abord répondu à leurs 45 mails. C'est comme si une faculté de lettres classiques sollicitait le parrainage de Nadine Morano ! - Parce qu'on vous adore.» Bien. J'adore qu'on m'adore ; au moins, ces futurs commerciaux savent déjà se vendre auprès d'un vendu.
Dans le TGV qui m'éloigne de la civilisation, je m'autopersuade que plonger mon boboïsme vieillissant dans un bain de jouvence provinciale déridera ma plume. Car, même si les Nantais plébiscitent Jean-Marc Ayrault, cette ville n'est pas fatalement aussi chiante que son maire. Sauf que, décidément, il pleut sur Nantes. Même quand il ne pleut pas. Et la bande d'étudiants venue me cueillir à la gare exhale une humeur très humide. Dans la voiture, je m'aperçois qu'aucun de ses «fans» autoproclamés ne lit Marianne. A peine ont-ils parcouru l'œuvre complète de mes tweets. Certes, l'une des gamines (de 24 ans passés !) a commencé mon dernier livre, mais elle préfère, dit-elle, quand j'ajoute des grimaces à la télé. Une autre qui, de toute évidence, confond Bedos avec Devos, s'étonne de ma sveltesse, eu égard à l'obésité de mon défunt paternel ! A la fin du concours, durant lequel de sympathiques coincés du bulbe ont cru exploser les limites de l'humour noir en prononçant 30 fois le mot «bite» et en se gaussant sur DSK, ce cadavre satiriquement inoxydable, je refoule mon ennui et me hasarde à questionner l'amphi tout entier : «Alors, les jeunes, où c'est qu'on sort, ce soir ? Je propose une manif antimariage gay dans toutes les boîtes homo de la ville.» Rires pincés.
Si jeunes et déjà menacés par une overdose de premier degré ! Peu importe, fouette, cocher ! J'ai envie de les mieux savoir. De plonger mon thermomètre sociologique dans le rectum de leur ferveur adulescente et, accessoirement, de gerber une série de gin fizz dans la cuvette d'un bar nantais. «Alors ? On bouge ?» Silence (300 personnes qui se taisent, ça vous crève les tympans). L'organisateur, un autiste de 22 piges qui ne cesse d'essuyer ses mains moites sur son polo Lacoste trop large, finit par grommeler : «C'est-à-dire qu'on aimerait bien, vu que vous êtes mon idole, mais on a cours demain matin.» Sa copine ajoute : «Si vous voulez, on peut boire une bière à la cafétéria, mais ça ferme dans trente minutes.» J'abdique.
Dans la voiture qui me ramène lentement à la gare, l'un d'eux m'assena le coup de grâce : «J'espère que vous vous êtes bien marré, car vous venez d'avoir affaires aux plus rebelles du bahut.»
Dans le train, je termine la biographie de Verlaine (qui vient de paraître dans l'excellente édition Folio) : Jean-Baptiste Baronian y relate les échappées belges et londoniennes du parnassien avec Rimbaud, son amant fulgurant, sa tête à baffes géniale de 17 ans. Ils rimaillent, ripaillent, fument, soutiennent les communards, picolent en relisant Homère, s'agenouillent - ivres morts - devant Victor Hugo, caricaturent les versaillais, singent Musset, se désapent en public, dérapent en permanence, dorment à la belle étoile, payent leur tournée d'absinthe à coups de poèmes érotiques ; bref, ils draguent la mort en riant et en s'aimant. Cent cinquante ans plus tard : la jeunesse a vieilli.
26 décembre 2012
La vieillesse de ce temps
Un texte de Nicolas Bedos (paru dans Marianne) qui m'a bien fait rire.
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