Je cite...
8 mars 2008
C'est dingue, non ?
Le semaine dernière, la Colombie a envahi l'Equateur, a tué un chef de la guérilla dans la jungle, puis a ouvert son ordinateur portable et… devinez ce que les Colombiens ont trouvé ? Un message à Hugo Chavez selon lequel il aurait envoyé 300 millions de dollars aux FARC pour acheter de l'uranium et fabriquer une bombe !
C'est ce que Bush nous raconte. Et il le tient de son copain, l'étrange président d'extrême droite de la Colombie, Alvaro Uribe.
Donc : une fois l'acte accompli, la Colombie justifie sa tentative de provoquer une guerre des frontières comme un acte destiné à éliminer la menace d'une Arme de Destruction Massive ! Hum... on a déjà entendu ça, quelque part...
La presse étasunienne a repris l'histoire des « 300 millions de dollars de Chavez aux terroristes » en moins de temps qu'il n'aurait fallu au jeune Bush pour sniffer un rail de poudre colombienne.
Ce que la presse étasunienne a omis de faire [pas que cette presse là, d'ailleurs – NDT] c'est de vérifier l'information fournie par un courrier électronique trouvé dans un ordinateur portable magique. (On suppose que les dernières paroles du dirigeant des FARC furent, « et mon mot de passe est … »)
J'ai lu ce courrier. Et vous aussi vous pouvez le lire, ici : http://www.gregpalast.com/farc-docu...
Vous pouvez lire tout le document en espagnol, mais voici la traduction du seul et unique passage qui fait mention des prétendus 300 millions de Chavez :
« … en ce qui concerne les 300, que nous désignerons désormais comme le "dossier", des efforts sont déployés sur instructions du chef au "cojo" (terme d'argot pour "handicapé"), que j'expliquerai dans un autre courrier. Appelons le patron "Angel" et le handicapé "Ernesto" ».
Vous avez compris ? Où est Hugo ? Où sont les 300 millions ? Et de quels 300 parle-t-on ? En fait, remis dans le contexte, la note parle de l'échange d'otages avec les FARC sur lequel Chavez travaillait à l'époque (le 23 décembre 2007), à la demande du gouvernement colombien. En réalité, tout le reste du courrier ne parle que des modalités d'échange des otages. Voici la suite :
« pour accueillir les libérés, Chavez propose trois solutions : Plan A. Recourir à une « caravane humanitaire » qui impliquerait le Venezuela, la France, le Vatican [ ?], la Suisse, l'Union Européenne, des démocrates [société civile], l'Argentine, la Croix-Rouge, etc. »
Pour ce qui concerne les 300, il me faut souligner que le précédent échange des FARC concernait 300 prisonniers. S'agit-il des mêmes 300 dont parle Reyes ? Qui sait ? A la différence d'Uribe, de Bush et de la presse US, je ne vais pas me lancer dans des conjectures ou inventer une histoire fantasmagorique sur Chavez et des courriers envoyés au milieu de la jungle.
Pour apporter de l'eau à leur moulin, les Colombiens affirment, sans aucune preuve, que le mystérieux « Angel » est le nom de code de Chavez. Mais dans le courrier découvert, Chavez est appelé par le nom de code de… Chavez.
Et alors ? Et alors, ceci…
L'invasion de l'Equateur est une violation flagrante du droit international, condamnée par tous les pays latins membres de l'Organisation des Etats d'Amérique. Mais George Bush a tout simplement adoré. Il a appelé Uribe pour soutenir la Colombie contre « les assauts incessants des narco-terroristes ainsi que les manœuvres provocatrices du régime vénézuelien ».
Notre président s'est peut-être bien un peu mélangé les pinceaux, mais Bush sait ce qu'il fait : il soutient son dernier allié vacillant en Amérique du Sud, Uribe, qui est désespéré et dans une situation politique difficile. Uribe affirme qu'il va traîner Chavez devant la Cour Pénale Internationale. Si Uribe s'y rend en personne, je lui suggère d'apporter sa brosse à dents : on vient de découvrir que des escadrons de la mort d'extrême droite on tenu des réunions préparatoires dans le ranch même d'Uribe. Les amis d'Uribe ont été convoqués devant la Cour Suprême colombienne et risquent la prison.
En d'autres termes, c'est le moment où jamais pour Uribe de sortir ce vieux lapin politique de son chapeau, la menace d'une guerre, pour noyer les accusations de crimes portées contre lui. De plus, les attaques d'Uribe ont littéralement mis fin aux négociations en tuant le négociateur des FARC, Raul Reyes. Reyes était en pourparlers avec l'Equateur et Chavez sur un nouvel échange de prisonniers. Uribe avait autorisé les négociations. Cependant, Uribe savait que si ces négociations aboutissaient à la libération de prisonniers, tout le crédit en serait revenu à l'Equateur et à Chavez, et tout le discrédit sur lui.
Heureusement pour un continent au bord d'une explosion, le président de l'Equateur, Raphael Correa, est un des hommes les plus réfléchis et les plus posés qu'il m'est arrivé de rencontrer.
Correa s'est rendu à Brasilia et Caracas pour tenter d'empêcher un embrasement. Tout en plaçant des troupes à la frontière car aucun chef d'état ne peut tolérer de voir des blindés étrangers fouler le territoire national. Correa refuse que l'Equateur serve de sanctuaire aux FARC. En fait, l'Equateur a démantelé 47 bases des FARC, plus même que l'armée corrompue de la Colombie.
Pour sa gestion calme et posée de la crise, je vais pardonner à Correa de s'être excusé d'avoir qualifié Bush de « Président crétin (dimwitted - NDT) qui a causé beaucoup de dégâts dans son pays et dans le monde. » (voir un extrait de mon interview de Correa ).
L'heure des amateurs a sonné
Nous pouvons faire confiance à Correa pour maintenir la paix au sud de la frontière. Mais pouvons-nous faire confiance aux futurs ex-présidents ? L'actuel occupant du bureau ovale, George Bush, ne peut tout simplement pas s'en empêcher : une invasion illégale par un promoteur des escadrons de la mort lui conviendrait parfaitement.
Mais devinez qui n'a pas pu s'empêcher d'imiter Bush ? Hillary Clinton, qui en est encore à expliquer que son vote en faveur de l'invasion de l'Irak n'était pas un vote en faveur de l'invasion de l'Irak, a fait une déclaration en termes quasi identiques à ceux de Bush, qualifiant l'invasion de l'Equateur comme le droit de la Colombie « à se défendre ». Elle ajouta, « Hugo Chavez doit cesser ses provocations ». Ah bon ?
Je pensais qu'Obama éviterait ce terrain miné – surtout après avoir été accusé d'être un amateur en politique étrangère pour avoir suggéré qu'il franchirait la frontière Pakistanaise pour pourchasser les terroristes. Il est embarrassant de voir Barack répéter pratiquement mot pour mot les phrases de Hillary en déclarant « le gouvernement Colombien a tout à fait le droit de se défendre ».
(Je suis certain que la position de Hillary n'a rien à voir avec le prêt pour sa campagne électoral accordé par Frank Giustra. Giustra a versé plus de 100 millions de dollars aux projets de Bill Clinton. L'année dernière, Bill Clinton a présenté Giustra à Uribe, le président Colombien. Aussi sec, Giustra a signé un accord juteux avec Uribe sur le pétrole colombien.)
Sans oublier M. Héros de la Guerre, John McCain, qui en tient déjà une sacrée couche, et qui a déclaré que « Hugo Chavez est en train d'instaurer une dictature » probablement parce que, contrairement à Bush, Chavez, lui, fait compter tous les bulletins de vote lors des élections vénézueliennes.
Mais voici que les choses deviennent vraiment vicieuses.
Le critique des medias Jeff Cohen m'avait dit qu'il fallait guetter le moment où la presse allait commencer à qualifier McCain d'expert en politique étrangère et les Démocrates d'amateurs. Et ça n'a pas loupé. Le New York Times, dans son édition de mercredi, qualifia McCain de « pro de la sécurité nationale ».
McCain, c'est ce « pro » qui avait affirmé que la guerre en Irak ne coûterait pratiquement rien en terme de vies et d'argent.
Mais, parlant de l'invasion de l'Equateur par la Colombie, McCain a dit « j'espère que les tensions baisseront, que le président Chavez retirera ces troupes de la frontière – de même que les Equatoriens – et que les relations continuent à s'améliorer entre les deux. »
Ce n'est pas tout à fait de l'anglais (les approximations grammaticales de McCain ont été plus ou moins rendues dans la traduction française – NDT), mais ce n'est définitivement pas du Bush. Et bizarrement, ce n'est définitivement pas du Obama ou du Clinton en train de saluer bruyemment l'agression Colombienne contre l'Equateur.
Démocrates, entendez-vous ? Il y a quelque chose de pire que de voir les medias accuser Obama et Clinton d'être des amateurs, et c'est de voir les candidats Démocrates se démener comme des fous pour leur donner raison.
Greg Palast
6 mars 2008
Traduction par Le Grand Soir
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