7 décembre 2007

Représentativité

Une fois n'est pas coutume, un article de l'Humanité, qui rappelle que le MEDEF, Mme Parisot, ne représente pas grand monde dans le patronat, et n'est donc pas légitime pour exiger la destruction du Code du travail en cours au Parlement.

Le patronat vampirise l'argent public

Révélations . Représentativité quasi nulle, utilisation détournée de fonds publics, inefficacité économique… Une cadre raconte son travail au quotidien dans une fédération patronale.

« Caisse noire » de l’UIMM abondée à l’origine pour casser les grèves et désormais utilisée en bonne partie, semble-t-il, pour arrondir les fins de mois de ses dirigeants et de leurs amis, détournement des moyens de la médecine du travail ou encore de la formation professionnelle au bénéfice des certaines instances patronales…

Englués dans les révélations sur leurs petits arrangements entre amis, le MEDEF, ses fédérations professionnelles et leurs organisations territoriales connaissent une saison difficile… Malgré la lenteur de l’institution judiciaire qui a paru hésiter, deux mois durant, avant d’ouvrir hier, enfin, une information judiciaire sur les retraits suspects à l’UIMM. Et en dépit de la « bonne volonté » bienséante de nombreux médias alléchés, au début, à l’idée de pister les « syndicalistes corrompus » par les fonds secrets du patronat, mais un brin dépités après avoir fait chou blanc…

Après la publication, la semaine dernière, d’un très sévère rapport de la Cour des comptes fustigeant l’inefficacité et l’absence de contrôle des aides des collectivités territoriales versées aux entreprises et aux chambres de commerce (lire page 4), l’Humanité livre aujourd’hui une nouvelle pièce accablante au débat public : comment, dans le patronat, les hérauts du libéralisme le plus échevelé utilisent-ils, sous couvert de « développement économique », des fonds publics pour financer leur fonctionnement et nourrir en fait leurs nébuleuses d’organisations. Dans un monde où la loi du silence règne plus que jamais, nous avons recueilli un témoignage qui vient de l’intérieur. Une ex-cadre d’une fédération professionnelle raconte quelques années de travail dans les méandres du patronat : indifférence face à l’absence totale de représentativité, utilisation abusive de fonds publics, déficit absolu de contrôle démocratique, inefficacité économique, etc. « On m’a laissé courir dans le seul but d’obtenir non pas des résultats, mais des subventions », constate-t-elle. Révélations sur un système opaque, mais au fonctionnement si ordinaire.

T. L.

Quand elle découvre, lors d’un énième entretien d’embauche, que son interlocuteur, « vêtu comme une gravure de mode, soixantaine élégante, manières courtoises » et jusque-là protégé par le flou artistique des annonces, représente en fait une fédération patronale, la jeune sociologue, multidiplômée mais au chômage, tombe de sa chaise : non, tout mais pas ça, jamais elle ne travaillera pour les fumeurs de cigares au volant des grosses cylindrées, debout les damnés de la Terre… Elle reste quand même, provoque un brin et prend le parti d’en rire. Au bout du compte, malgré ses piques, même réitérées au deuxième entretien, et « pour je ne sais quelles obscures raisons », insiste-t-elle, elle sera embauchée. À l’automne 1996, Héloïse (1) devient déléguée régionale d’une fédération patronale représentant une cinquantaine de syndicats professionnels et qui compte dans l’Union des industries et des métiers de la métallurgie (UIMM), au Groupe des fédérations industrielles (GFI) et au MEDEF.

Bien sûr, elle a du mal, au début : à l’occasion d’une réunion de l’Association des moyennes entreprises patrimoniales (ASMEP), fondée et présidée par Yvon Gattaz, l’exaltation frénétique des vertus, par exemple, du « licencier sans entrave » la révolte… Mais petit à petit elle apprend à construire, comme elle dit, l’équation « moi + représentants patronaux = nous », avec la conviction sincère de la nécessité d’une « alliance des producteurs, incluant les forces vives du salariat et du patronat en vue d’une modernisation démocratique de l’économie et de la société française ».

les PME intéressent peu les organisations patronales

Dans la grande région dont elle a la charge, Héloïse est censée représenter la fédération, les syndicats adhérents et les chefs d’entreprises auprès des collectivités territoriales, notamment afin d’obtenir des subventions publiques pour financer des actions de développement économique. Dans un premier temps, après avoir constaté que 6 % seulement des 2 000 entreprises du secteur implantées dans sa région sont affiliées à la fédération, elle part à la rencontre des industriels, histoire de « connaître ses mandants » et, le cas échéant, de les faire adhérer. « Je voulais mieux connaître le tissu industriel de la région, raconte-t-elle aujourd’hui. Cela me paraissait une priorité : il fallait aller dans les entreprises pour savoir au nom de qui j’allais parler. C’est comme ça, me semblait-il, qu’on pouvait construire notre propre représentativité. Un représentant qui ne connaît pas ses mandants n’est pas représentant. Malgré quelques adhésions prometteuses, on m’a vite expliqué, à la fédération, que les cotisations étaient perçues par les syndicats et non par la fédération, et que, par conséquent, je devais arrêter. » Héloïse élargit le propos. « On parle souvent de l’absence de représentativité des syndicats de salariés, mais jamais de l’absence de représentativité des syndicats de patrons. Or, elle est aussi faible. Elle est calculée par rapport au chiffre d’affaires d’un secteur. Dans ces conditions, les organisations patronales ne sont pas intéressées par les petites et moyennes entreprises. Elles disent : "Nous ne sommes pas un service public, notre mode de financement ne nous permet pas de travailler pour tout le monde !" Les organisations patronales sont des ploutocraties qui paient un bon repas aux chefs d’entreprise histoire de leur faire croire qu’ils sont importants, mais les renvoient bien vite jouer dans leurs boîtes. Les choses sérieuses se passent sans eux. »

brutale mise sur la touche après un congé maternité

Dans le même temps, Héloïse découvre la nébuleuse patronale : fédération et syndicats, mais aussi centre d’études techniques, filiale d’investissement, organismes de formation, structure commerciale de promotion des industries du secteur ou encore « associations de projet », comme celle qui gère une manne de 6 millions d’euros décrochée pour servir à la reconversion des industries liées à l’armement dans sa région et dont Héloïse sera écartée après un congé maternité. « Je n’allais pas me laisser pot-de-fleuriser », lance-t-elle. Elle profite de cette brutale mise sur la touche pour se concentrer sur un projet de site Internet pour les entreprises ressortissant de la fédération, financé par des fonds émanant du ministère de - l’Économie et des Finances. « Il s’agissait de stabiliser et fédérer les multiples structures de ce secteur industriel qui entretenaient entre elles des relations souvent conflictuelles, se souvient-t-elle, en rassemblant dans un portail mutualisé un annuaire des entreprises et de leurs offres, des actualités sur le secteur, une "bourse aux affaires" qui devait permettre aux industriels, souvent âgés, de céder ou transmettre leurs entreprises dans de meilleures conditions, et d’autres services encore destinés à accroître l’attractivité de nos industries. À la fin des années 1990, ce projet très innovant avait été cité par le président de la fédération sur LCI et était considéré au ministère de l’Industrie comme une préfiguration de "l’organisation professionnelle de demain". Après une centaine de réunions, j’avais réussi à convaincre les syndicats professionnels de laisser un peu de côté leur sacro-sainte souveraineté pour mutualiser les informations sur leurs adhérents et les développements informatiques. Les perspectives s’annonçaient prometteuses. »

après le harcèlement, licenciement « pour faute grave » en 2001

Sous l’impulsion décisive d’Héloïse, la fédération patronale reçoit de l’État une première subvention de 430 000 euros pour financer le portail. Deux ans plus tard, le ministère en ajoute une deuxième de 280 000 euros pour financer, sur la base des développements réalisés, le système d’information et d’aide à la décision permettant à la fédération d’optimiser ses processus métiers, de piloter son activité et d’offrir d’autres services destinés à améliorer la productivité des entreprises du secteur. « La contrepartie de ces subventions publiques était que les développements soient pérennes et l’association gérant le projet soit viable économiquement, complète la jeune femme. Mais au long du projet, tout a été fait pour saboter le processus décisionnel, il fallait que l’association ne rapporte jamais d’argent. J’ai dû me battre pour que les fonds publics soient uniquement destinés aux investissements et non aux frais de fonctionnement, lorsque j’ai découvert par hasard que la fédération appliquait ses tarifs les plus élevés pour la location du matériel ou la reprographie. Les organisations professionnelles sont peuplées de grands libéraux qui ne financent leurs projets que sur fonds publics et qui s’empressent de les utiliser pour payer les frais de fonctionnement. Si prompts à réclamer toujours plus d’exonérations, ils se comportent comme des rapaces dès qu’ils sont en situation de taxer… Le secrétaire général m’a dit un jour que, si les syndicats disparaissaient, ça ne le dérangerait pas, car cela lui permettrait de louer les bureaux au prix du marché et de gagner plus d’argent. C’est dire le haut sens de l’intérêt général des entreprises et des syndicats qui règne dans cette fédération - patronale… »

Après une série de péripéties plus malheureuses les unes que les autres, qu’elle qualifie de « cas d’école de harcèlement », Héloïse est licenciée « pour faute grave » en 2001 : exaspérée de voir son patient travail piétiné une fois de plus, elle n’a pas pu s’empêcher d’envoyer une « lettre de licenciement » à son supérieur hiérarchique. Dès lors, c’était elle ou lui, et ce fut elle. Aujourd’hui, le portail vivote sous une forme largement réduite et le système d’information et d’aide à la décision de la fédération n’a manifestement pas vu le jour. « Au lieu de développer des outils facilitant la constitution d’offres globales permettant à plusieurs entreprises de concourir aux appels d’offres auxquels elles ne peuvent répondre seules, au lieu de permettre à cette fédération d’améliorer son positionnement stratégique et sa productivité, l’argent public a été utilisé pour financer deux fois la même chose avec un périmètre des plus restreints », regrette Héloïse.

l’histoire relatée dans un manuscrit, Aujourd’hui en quête d’éditeur

Mais ça n’est pas tout : en 2004, la jeune femme, qui a retrouvé du travail, tombe sur l’appel d’offres d’une chambre de commerce et de l’industrie proposant de développer pour le même secteur industriel en région parisienne ce qui l’avait déjà été pour la fédération… « Les cofinanceurs du projet n’ont même pas vérifié si le ministère de l’Industrie dont ils dépendent avait déjà subventionné un projet analogue. L’absence totale de contrôle des fonds publics attribués aux organisations professionnelles favorise le parasitisme. Profitant des failles de la décentralisation, les organisations patronales multiplient les structures bidons pour capter des fonds publics qui ne reviennent pas forcément aux entreprises. Les corps de contrôle de l’État ne font pas leur travail, déplore-t-elle. Ils n’en ont pas la volonté, ou ils ont peur : « Ne mentionnez pas mon nom », m’a lancé un jour un agent de la répression des fraudes. Le ministre de l’Économie était alors Francis Mer, l’ancien vice-président du MEDEF. « Vous pensez bien qu’il ne fera rien contre une fédération patronale, m’avait-il dit. Je risque pour ma part de gros ennuis si l’on apprend la teneur de nos échanges. » Quand un policier commet une bavure, n’importe quel citoyen peut saisir directement l’IGPN. Par contre, dès qu’il s’agit de l’argent public, le citoyen est dépossédé de tout pouvoir de contrôle. On est dans une culture de la défaillance du politique. Depuis des décennies, les entreprises françaises sont pénalisées par leur positionnement intermédiaire et la faiblesse de leurs exportations, nous répète-t-on toujours. Pourtant, des milliards sont consacrés chaque année pour y remédier. Qui gère cet argent et pour quel résultat ? Combien gèrent les chambres consulaires présidées par les chefs d’entreprise, les organisations patronales et leur myriade d’associations de promotion et de développement ? Je parle aujourd’hui parce que ce déficit démocratique et ces carences de l’État de droit se traduisent par une grande inefficacité économique. Combien cette gabegie coûte-t-elle de points de croissance ? »

Aujourd’hui, pour combattre ses illusions perdues sur les « forces vives » du patronat, Héloïse a choisi de relater son histoire dans un manuscrit en quête d’éditeur. Le titre claque : Des vampires chez les patrons. « Ce que je veux à présent ? Une réforme des organisations patronales, auxquelles il faut imposer la transparence de leurs comptes et une obligation de résultats, une refonte de l’action publique notamment en matière de développement économique, et un renforcement du contrôle démocratique de l’utilisation des fonds publics. » Héloïse observe les atermoiements judiciaires dans l’affaire UIMM non sans inquiétude, mais avec la volonté de se battre pour une société plus transparente, plus juste et plus efficace.

(1) Le prénom a été changé.

Thomas Lemahieu

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